par ngu yen » Mar 28 05 19 05:42
La réforme fiscale internationale depuis le carré uranus/pluton devrait atteindre une étape importante en 2020.Voir l'article ci dessous du Point.
Multinationales : comment les États comptent s'y prendre pour les taxer
Près de 130 pays s'attaquent à l'optimisation fiscale des grands groupes internationaux. Récit d'une négociation cruciale, mais délicate. Par Marc Vignaud
Publié le 27/05/2019 à 15:51 | Le Point.fr
Les Etats tentent de mieux imposer les multinationales, notamment du numerique.
Les États tentent de mieux imposer les multinationales, notamment du numérique.
© Alain Pitton / NurPhoto
Lutter contre l'optimisation fiscale des entreprises multinationales. C'est l'une des priorités que la France s'est fixées pour sa présidence à venir du G7, le club des pays les plus riches de la planète. Ce chantier titanesque, négocié à l'échelle internationale entre 129 États et juridictions, devrait franchir une étape importante mardi et mercredi. Les parties prenantes, réunies par l'OCDE à Paris, devraient tenter d'adopter un « programme de travail » concret pour avancer sur le sujet.
Lire aussi Démantèlement des Gafam : « On raisonne dans une logique de l'ancien monde »
À l'issue des débats, un document ultra-technique d'une trentaine de pages s'attachera à décrire les solutions et les questions à résoudre pour arriver à mieux taxer le profit des multinationales, qui, trop souvent, échappe à l'impôt dans les pays où elles opèrent. Mais le processus s'annonce encore long. Une nouvelle étape pourrait être franchie au Japon, les 8 et 9 juin, avec une présentation du programme de travail au G20 finance de Fukuoka. Puis le sujet devrait être réabordé à la réunion informelle du G7, sous présidence française, le 17 et 18 juillet à Chantilly. Mais la conclusion d'un accord final sur ce dossier ultrasensible, parce qu'il touche à la souveraineté des États, n'est pas attendue avant fin 2020. Récit d'une réforme de la fiscalité internationale entamée il y a dix ans.
2009 : offensive contre le secret bancaire
« Jusqu'en 2008, très peu de choses se passaient dans le domaine de la fiscalité internationale. Des conventions fiscales visaient à l'élimination des doubles impositions (des entreprises), et c'est à peu près tout ce qui existait en matière de coopération fiscale », rappelait, début avril, le Français Pascal de Saint-Amans devant les députés de la commission des Finances de l'Assemblée nationale. La crise financière a changé la donne. Les États se sont d'abord attaqués à la fraude fiscale, notamment des particuliers, en tirant un trait sur le secret bancaire, un processus qui a pris des années. Les fiscs de 130 pays signataires s'échangent désormais automatiquement des informations sur l'état des comptes bancaires de leurs ressortissants. Des masses d'informations qu'il s'agit maintenant d'exploiter pour traquer ceux qui essaient de dissimuler de l'argent afin d'échapper à l'imposition.
2012 : première bataille pour imposer davantage les multinationales
Puis le regard s'est tourné vers la fiscalité des entreprises, à partir de 2012. « L'absence de règles internationales et le caractère quelque peu obsolète des conventions fiscales bilatérales avaient abouti à une situation où les entreprises pouvaient facilement localiser leurs profits dans des paradis fiscaux où elles n'avaient pas d'activité et, au contraire, localiser toutes leurs charges dans les pays où elles réalisaient leurs ventes, leur recherche et leur développement, où elles avaient leurs quartiers généraux, pour y payer finalement peu d'impôts », racontait Pascal Saint-Amans, le monsieur lutte contre l'optimisation de l'OCDE, devant lez élus. Fin 2015, l'OCDE a proposé 15 mesures, progressivement adoptées par les États, pour lutter contre les principaux trous dans la raquette de la fiscalité à l'échelle mondiale. Selon lui, ce programme de lutte contre « l'érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices », surnommé BEPS, a « produit des changements assez significatifs », mais qui ne pourront malheureusement pas être quantifiés avant 2020.
2015 : les États-Unis bloquent la réforme de la fiscalité du numérique
Mais il faudrait être aveugle pour penser que tous les problèmes ont été réglés. On ne compte plus les attaques contre les fameux Gafam, les Google, Apple, Facebook, Amazon et autres Microsoft, ces multinationales du numérique accusées de ne pas acquitter leur juste part d'impôt en Europe. Prenons l'exemple de Google (similaire à celui de Facebook). Il suffit toujours à la multinationale américaine de localiser ses équipes chargées de vendre en France de la publicité, grâce aux données de l'utilisateur du moteur de recherche, dans un pays à faible fiscalité – l'Irlande, en l'occurrence – pour ne pas avoir à régler au fisc français des impôts à hauteur du profit pourtant réalisé dans l'Hexagone. Pascal de Saint-Amans le reconnaît volontiers : quatre actions du projet BEPS se sont en effet « révélées décevantes », à commencer par celle relative à la fiscalité des entreprises du numérique. Pour la bonne et simple raison que les États-Unis se sont mis en travers du chemin. L'Amérique de Barack Obama a mis « une sorte de veto à tout changement des règles qui aurait permis d'appréhender davantage de masse taxable dans les pays où les entreprises numériques font des affaires sans y être présentes physiquement », expliquait l'expert français de l'OCDE chargé du chantier, toujours devant les députés. D'où le peu d'avancées dans ce domaine ces dernières années. Les règles de la fiscalité internationale inventées par un groupe d'économistes en 1928 prévoient en effet qu'une entreprise étrangère n'est taxable sur un territoire que lorsqu'elle y a un « établissement stable », ce qui fait référence à une présence physique.
2018 : quand Trump renverse la position d'Obama
Depuis, les États-Unis ont retourné leur veste, avec l'arrivée aux affaires de… Donald Trump ! Le président américain unilatéraliste dans bien des domaines se montre beaucoup plus ouvert que son prédécesseur pour réformer la fiscalité internationale. Le changement de pied américain découle de sa réforme fiscale promise pendant la campagne, expliquait Pascal de Saint-Amans. Le président américain a réussi à imposer au Congrès une baisse de taux de l'impôt sur les sociétés de 35 à 21 %. Sauf que cela coûte très cher au budget fédéral en perte de recettes. Alors, le Congrès à majorité républicaine a voulu compenser. Il a donc trouvé un moyen pour élargir l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
Une des solutions trouvées consiste à appliquer une imposition minimale : si les entreprises américaines réalisent des profits à l'étranger inférieurs au taux plancher de 13 125 %, elles doivent payer la différence. Un mécanisme à l'acronyme qui tombe bien : « Gilti », comme le mot anglais « guilty », « coupable » en français. C'est cette idée qui est aujourd'hui reprise dans les discussions internationales pour l'appliquer à grande échelle, mais de façon ordonnée, sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne, fait-on valoir dans l'entourage du ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire. Les États-Unis de Trump « ont dit à leurs partenaires de l'OCDE désireux de taxer Google, Facebook et les autres qu'ils avaient raison. Je me souviens du délégué chinois vérifiant la traduction qui lui était donnée », soulignait Pascal de Saint-Amans, qui semblait ne pas en revenir lui-même. Les États-Unis poussent dorénavant à renforcer le droit d'imposer des pays « de marché », là ou se trouvent les consommateurs ou les utilisateurs de services, non seulement pour les entreprises du numérique mais aussi pour l'ensemble des entreprises ! « Regardez, c'est bien la même problématique pour McDonald's, Nike ou Starbucks ! » se serait exclamé le délégué américain, selon Pascal de Saint-Amans.
Lire aussi Taxe numérique européenne : les Gafa ont encore gagné
Comment expliquer un tel revirement des États-Unis ? Pas par pur altruisme vis-à -vis des pays comme la France, évidemment. « Les États-Unis ont un déficit commercial structurel ; leur production est donc inférieure à leur consommation. Par conséquent, ils ont plutôt intérêt, surtout en l'absence de TVA, à donner à l'impôt sur les sociétés la base la plus large possible, en l'occurrence la consommation plutôt que la production, et à considérer qu'il faut rémunérer le marché plus que la production. Or les règles en matière de prix de transfert, telles qu'elles ont été vaguement réparées par BEPS, prévoient que le profit résiduel d'une entreprise – ce qui reste après que les différentes entités ont été payées – va où est localisée la propriété intellectuelle, en principe plutôt là où l'entreprise a son siège. En réalité, hélas, elle sera plutôt non pas dans un paradis fiscal, mais dans une petite économie ouverte – comme celle de la Suisse, des Pays-Bas ou de l'Irlande. Les États-Unis, parce que c'est fondamentalement leur intérêt, considèrent qu'il faut changer cette règle et sont prêts à une négociation multilatérale », décrypte Pascal de Saint-Amans.
2019 : la France et l'Allemagne réclament une imposition minimale
C'est donc une nouvelle fois sous l'impulsion des États-Unis que les discussions sur la lutte contre l'optimisation fiscale des multinationales vont se tenir cette semaine, sous l'égide de l'OCDE. Après un rapport très théorique produit par l'OCDE en 2018, « on entre dans le concret », se félicite-t-on dans le camp français.
Poussé notamment par la France et l'Allemagne, le premier pilier de la discussion repose sur le principe de l'imposition minimale, dans le sillage américain. Mais il faut le faire de façon coordonnée et non de façon unilatérale, comme l'ont fait les États-Unis. « Il ne faut pas qu'on soit 40 États à imposer une même filiale à un taux minimal », explique-t-on à Bercy. Cela devrait permettre de contourner le problème de l'existence de paradis fiscaux, qu'on ne peut contraindre à changer leur fiscalité. Une telle règle « atténuera l'intérêt fiscal à aller dans un paradis fiscal, même si ça ne découragera pas d'y aller », reconnaît une source au ministère des Finances.
Vers une nouvelle répartition des droits à taxer ?
Le second pilier de la discussion, beaucoup moins consensuel, porte sur une nouvelle répartition des droits à imposer aux multinationales. La France, comme le Royaume-Uni, veut en priorité s'attaquer aux entreprises du numérique. Elle l'a d'ailleurs fait au niveau national en instaurant une taxe provisoire sur le chiffre d'affaires des grandes entreprises du numérique, en attendant une solution internationale plus pérenne.
L'idée est de taxer sur le lieu où la publicité ciblée a été montrée au consommateur plutôt que là où les équipes marketing d'un Facebook ou d'un Google ont vendu l'espace aux annonceurs. Plusieurs solutions techniques sont sur la table pour y parvenir. L'une d'elles consiste à déterminer le profit « résiduel global » réalisé par une entreprise située, par exemple, en Irlande, et qui opère dans le reste de l'Europe. Ce profit serait alloué et taxé en fonction d'une clé de répartition selon le nombre d'utilisateurs dans chaque pays ou du chiffre d'affaires réalisé dans les pays. Mais les États-Unis et la Chine ne veulent pas cibler que certaines entreprises. Elles veulent élargir la discussion à d'autres types d'entreprises, notamment de la distribution, en considérant que demain toute la valeur viendra des données, y compris pour les entreprises qui ne sont pas des entreprises issues du numérique. La France n'y est, semble-t-il, pas trop hostile.
Lire aussi L'Europe contre Google : jusqu'où ira la guerre ?
Cela impliquerait de taxer davantage les pays où la consommation se fait plutôt que là où est logée la propriété intellectuelle de l'entreprise. Cela serait un bouleversement, dont les conséquences sont difficilement mesurables pour les rentrées fiscales des différents États. Dans ce modèle très théorique, pour faire simple, la France perdrait des droits à imposer ses propres multinationales implantées à l'étranger, mais récupérerait à l'inverse plus d'impôts sur le secteur du numérique mais aussi sur des activités traditionnelles car elle est un pays de 70 millions de consommateurs de produits traditionnels de filiales de grands groupes américains. Pour Paris, le gain n'est pas évident, précisait Pascal de Saint-Amans. « Un pays comme la France soulève légitimement la question de l'impact budgétaire qu'aurait l'attribution de plus de droits d'imposer aux grands marchés, comme la Chine, l'Inde ou les États-Unis. Nous sommes en train de faire des études d'impact pour voir quelle serait la répartition des droits d'imposer. » Un accord est loin d'être acquis. Certains pays pourraient bloquer, notamment de petites économies ouvertes comme le Danemark, la Suisse, Singapour, qui ont pour point commun d'être de petits pays ouverts. Ils craignent d'y perdre beaucoup si les droits d'imposer sont réalloués aux grands pays de consommation.