par Christophe » Ven 26 08 11 18:47
La scène se passe dans les jardins du Château de Bellevue, à Berlin. Angela von Merklemburg et Nicolas de Neuilly se sont discrètement éclipsés de la réception offerte par le roi de Prusse. On entend, au loin, les accents raffinés d'un quatuor à cordes de Josef Haydn.
Nicolas :
Madame, l'heure est grave : tandis que Berlin danse,
Athènes est en émoi, et Lisbonne est en transes.
Voyez la verte Erin, voyez l'Estrémadoure
Entendez les Romains : ils demandent secours !
Ils scrutent l'horizon et implorent les dieux.
Tous les coffres sont vides, et les peuples, anxieux,
Guettent de vous, Madame, le geste généreux !
De leur accablement ils m'ont fait l'interprète :
Leur destin est scellé, à moins qu'on ne leur prête
Cet argent des Germains sur lesquels vous régnez.
La cause est délicate, mais laissez-moi plaider…
Angela :
Taisez-vous, Nicolas, car il y a méprise !
Folle étais-je d'attendre une heureuse surprise;
En vous suivant ici, seule et sans équipage,
Je m'attendais, mon cher, Ã bien d'autres hommages !
Mais je dois déchanter : qu'il est humiliant,
De n'être courtisée que pour son seul argent !
Nicolas :
Les temps sont durs, Madame, et votre cœur est grand.
Vos attraits sont troublants, mais il n'est point décent
D'entrer en badinage quand notre maison brûle !
Le monde nous regarde, craignons le ridicule !
Notre Europe est malade, et vous seule pouvez
La soigner, la guérir et - qui sait ? - la sauver !
Nous sommes aujourd'hui tout au bord de l'abîme.
Vous y gagnez beaucoup ; soyez donc magnanime !
Les Grecs auraient triché ? Fi donc, la belle affaire !
Qu'on les châtie un peu, mais votre main de fer
Est cruelle aux Hellènes et nous frappe d'effroi !
Angela :
J'entends partout gronder, en Saxe et en Bavière,
L'ouvrier mécontent, le patron en colère.
Ma richesse est la leur, ils ont bien travaillé.
L'or du Rhin, c'est leur sueur et leur habileté.
Et vous me demandez, avec fougue et passion,
De jeter leur fortune au pied du Parthénon ?
Ce serait trop facile, et ma réponse est non !
Nicolas :
On ne se grandit pas en affamant la Grèce,
En oubliant Platon, Sophocle et Périclès !
Nos anciens nous regardent et nous font le grief
D'être des épiciers et non pas de vrais chefs !
Helmut Kohl est en rage, et Giscard désespère.
Un seul geste suffit, et demain, Ã Bruxelles,
Desserrez, je vous prie, le noeud de l'escarcelle !
Angela :
Brisons là , je vous prie, la nuit est encore belle.
Votre éloquence est grande, et mon âme chancelle…
Mais si je satisfais à toutes vos demandes,
Je comble en moi la femme et trahis l'Allemande !